8 novembre 2015

Quelle idée de la guérison quand l'adjectif est substantivé ?

Le sandwich au jambon est assis à la table 7. 

Geoffrey Nunberg (“Transfers of meaning” dans Journal of Semantics 17. 1995).


Les mots sont des actes dans la mesure où ils véhiculent le sens que l'on donne à la réalité perçue et la relation que l'on entretien avec elle. Comme introduction à cet article, j'ai pris comme exemple la phrase ci-dessus qui induit une relation interpersonnelle particulière puisqu'elle est avant tout professionnelle, économique, culinaire ou autre, peu humaine, entre un garçon de café et son client.

Il est assez stérile d'étiqueter les gens et de les presser dans des catégories.                Carl Gustav Jung
Des expressions comme "le noir", "le jaune", "le blanc" sont de plus en plus bannis du langage car d'un point de vue éthique, moral, humain et politique cette classification donne lieu à une attitude raciste.

Cependant, il reste des expressions tout aussi toxiques dans le langage courant, le domaine médical (une tradition) ou journalistique ( sans doute pour des besoins de vulgarisation de la psychologie ou de la psychiatrie).

A qui appartient la citation ?


Voir aussi la définition de Wikipédia de la psychose :  La psychose (du mot grec ψυχή, psyche, « esprit, âme », et -ωσις, -osis, « anomalie ») est un terme générique psychiatrique désignant un trouble ou une condition anormale de l'esprit, évoquant le plus souvent une « perte de contact avec la réalité ». Les individus souffrant de psychose sont nommés des « psychotiques ».




J'ai déjà eu l'occasion de parler de ces particularités linguistiques pour qualifier une personne par ses troubles (attribution ou substantivation de l'adjectif - Groupe Nominal sans Nom) car, selon moi, l'on enferme la personne dans sa problématique.
Voir l'article de Boris Cyrulnik
Il est crucial de souligner que même dans les cas les plus terribles, comme ceux des enfants qui ont assisté au massacre de toute leur famille, il y a toujours de l’espoir, car la plupart des déterminismes humains ne sont pas définitifs. Mais il est indispensable pour cela de ne pas considérer la personne comme fichue. Déclarer qu’un enfant est foutu et l’abandonner à son sort revient à créer les conditions de ce qu’on a prédit. Il ne faut pas réduire la personne à son trauma ou l’enfermer dans une position de victime.



Or, c'est dans le registre médical que l'on trouve le plus cette posture : Voir la Thèse Le rôle de la substantivation adjectivale dans l'Effet Label, en espagnol de Karine Dubosc, Maître de conférences en linguistique espagnole à l'université Lille 3
Parler d’un individu en le surnommant el canceroso (le cancéreux), el sordo (le sourd), el esquizofrénico(le schizophène) est une façon de « réduire la personne à son trauma », et c’est par la substantivation d’un adjectif que se fait bien souvent cette « réduction ». Le but ici est d’expliquer les mécanismes de ce phénomène.

Effets de la substantivation adjectivale dans le lien thérapeutique


Une cliente est venue dans mon cabinet car, je la cite, "elle était la victime d'un pervers narcissique". Le premier acte thérapeutique est de modifier la narration de son histoire substituant pervers narcissique par un homme ayant des perversions narcissiques.
Par ce changement de paradigme, la relation à la situation qu'elle relate va s'en trouver modifiée et ainsi elle va pouvoir travailler au changement de ses propres comportements pour ne plus se sentir "la victime".
Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré. Albert Einstein 
En thérapie, la manière de nommer un problème est aussi importante que le problème lui-même puisque cela parle de la relation que nous entretenons avec le problème, surtout s'il n'est pas résolu et donc récurrent. (En linguistique l'on parle de signifiant et de signifié).

Dans la Thèse de Karine Dubosc,  les adjectifs substantivés donnent une idée de durée.
Il est difficile d’envisager de nommer définitivement quelqu’un par un trait physique ou psychique passager. C’est certainement pour cette même raison que les adjectifs substantivés el rubeolado / rubeoloso, el roseolado,el varicélico(rubéole, varicelle) n’existent pas et que les adjectifs marqués [+Psyché] sont au contraire substantivables. Les pathologies psychiques sont durables, car elles sont difficilement guérissables.
Peut-on guérir de l’autisme, de la schizophrénie, de la maladie bipolaire ? Les personnalités névrosées comme celles du trastornado, obsesivo, compulsivo (trouble obsessionnel compulsif) sont-elles des pathologies dont on peut alléger les symptômes. Peut-on calmer les manifestations du masoquista (masochiste) ou du sádico (sadique)? Au mieux, la guérison sera longue ou simplement partielle.
Donc, ça va être long et incurable, voilà une interprétation possible quand on use la forme de l'adjectif substantivé

Un contre-exemple et une voie à la tolérance de la diversité humaine :  quand la personne elle-même revendique ses réussites face au dictat de la norme et nomme les Dys, c'est une manière de mettre en avant les croyances erronées. C'est le cas de Alix qui intervient dans de Grandes Ecoles
 

Freud a stipulé que, dans les troubles narcissiques, l'analyse est rendue impossible par l'hostilité fixée qu'elle suscite. Exaspéré par l'habileté des psychotiques à faire échouer ses efforts thérapeutiques, il laissa tomber un jour cette remarque : "Les psychotiques sont une chose fâcheuse pour la psychanalyse". Et de fait, jusqu'en 1940 il n'existait aucun traitement efficace pour la schizophrénie et d'autres troubles enracinés dans la prime enfance.





Une démarche thérapeutique qui a comme postulat la guérison et l'intégrité de la personne (au sens du global et du respect)

Si vous traitez un individu comme il est, il restera ce qu'il est.
Mais si vous le traitez comme ce qu'il peut devenir, alors il deviendra ce qu'il peut devenir.
Johan Wolfgang Von Goethe 


Eric Berne, psychiatre américain, pensait que dire "le schizophrène" était une insulte faite à la personne. Il s'est éloigné de l'Ecole de Psychanalyse.  A créé le modèle de l'Analyse Transactionnelle.

Voir, le scénario résulte d'une décision dans l'enfance et peut être renforcé par des messages limitants (injonctions et attributions)
Attribution que l'on retrouve dans les phrases "Il est autiste" et qui, selon l'AT est un signe inconditionnel touchant l'être. Si le thérapeute utilise ce type de phrase, il renforce les troubles de son client par la Permission qu'il donne de continuer à faire plus de la même chose ! 




Richard Erskine, Psychologue clinicien est le fondateur de la Psychothérapie Intégrative. Le contact interpersonnel, entre client et thérapeute dans le respect et la bienveillance sont essentiels dans le traitement des psychoses.







Carl Young, médecin psychiatre. Jung a toujours dit qu’on ne connaitrait jamais la psyché (au sens grec du « miroir ») : là où Freud voulait en faire un objet de science bien identifié, Jung dit que c’est un leurre car la psyché est constituée de tous les champs de l’expérience humaine.

Citation : Il est curieux que l’homme […] en soit amené à se réduire au rôle de quantité négligeable. Quelle singulière affaire que cette contradiction et que cette appréciation paradoxale de l’être humain par lui-même ! Elle n’est compréhensible qu’en y voyant l’expression d’une extraordinaire insécurité de jugement ; en d’autres termes, l’homme est à lui-même une énigme.